Tout commence par un point. Un point dense et puissant. Il porte en lui toute la force vive de la création. La pointe de la plume embrasse la feuille blanche. Dépose sa goutte d’encre. Un point. L’instant du premier contact. Furtif ! Comme un œuf enveloppé dans son plumage céleste. Une graine endormie dans la terre. Un cœur enfoui dans une caverne. Un point. Juste avant l'éclosion. Une existence en devenir. A ce moment précis, tout est encore possible car le point appartient encore au royaume du Silence.
Ce premier baiser est l'élan initial par lequel la plume signifie son désir d’Expression. Que le spectacle commence ! Le point s’extrait de lui-même. Se déchire. Une ligne. Fragile. Une ligne droite, peut-être. Ou bien une courbe. Quelque chose de simple. Encore timide. Mais vite, elle prend de l’assurance. Elle était comme un murmure. Maintenant, elle déclare ! Un angle. Tranchant ! Un acte de rébellion ! Une lettre capitale renverse le Royaume. Le silence n’est plus. Et après ? Que se passe-t-il ? Eh bien, la plume se soulève. Sa pointe quitte la page blanche. C’est la première séparation. A présent, plus rien ne pourra l'arrêter. Elle se déroule. D’abord, tout doucement. Puis, plus vite. Et plus vite encore. Une lettre se fait mot. Le mot devient une phrase. La phrase, un paragraphe. Un paragraphe, un chapitre. Puis un livre, une bibliothèque, une civilisation… Souffle !
Et pourtant, tout a commencé par un point. Un seul point. C’est un long voyage. Celui qui nous ramène à lui ! Tant de mots et de phrases se sont écoulés que la plume a perdu son chemin. A force de déploiement, dans sa spirale d'écriture, elle s'éloigne toujours plus de ce premier baiser. Mais elle entend encore son empreinte sonore étouffée par la distance. La spirale poursuit son expansion et bientôt, plus de traces. Et pourtant, il est là. Quelque part. Son absence est flagrante. Et son existence indéniable. Bien que personne ne puisse déclarer l’avoir vu. Le point demeure. Comme une évidence invisible. C’est donc cela, la foi… La spirale continue de croître et l'évidence se fane. S’estompe et de mémoire en oubli, s’efface. Le point n’est plus. La distance est trop grande. Le voile bien trop épais. C’est un long voyage. Peut-être même un voyage sans fin. Celui du retour au point initial. Peut-on encore l’atteindre ? Tellement long, le chemin du retour au silence.