La pavane du P
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Un P est un poids, est une pesanteur
Il pèse lourd, la voyelle qui le suit en a peur
Comme un plomb qui plonge dans les profondeurs
Qui pêche le poisson, prisonnier, il périt, il meurt
Le P est un pas qui piétine les pavés
Il est un pied à terre, il ne sait pas voler
Il est le passage du temps qui nous porte
Sur nos épaules jusqu’à ce qu’il nous emporte
Le P est une pénombre, il nous pousse à penser
Et remplit de palabres les cœurs apitoyés
Il prétend, souhaite plaire, se plie aux apparences
Pierres précieuses qui se donnent bien trop d’importance
Le P est précipice, il est puits dans nos âmes
Impassible, sans pitié, ne pardonne point, blâme
Il plaide tous coupables! Il est supplice et potence
Pomme, péché, penchants, il professe pénitence !
Mais le P, ainsi perché, n’est point une demi-lune
Elle est pleine mais une partie s’est perdue dans la brume
Et depuis le P pleure, son fil est une épine
Ses peines et ses plaintes ont fait fuir Proserpine
Le P est prédateur, son fil est peloton
Il est son propre bourreau, sa proie, sa punition
Épouvante! Éprouvé, par ses tristes passions
Le P parfois s’échappe et cherche rédemption
Le P se fait alors petit, pour un peu devient sourd
Muet, à pas de loup ou patte de velours
Un champ qui envoie paître sur ses plaines en pâturage
Les troupeaux des pasteurs comme un pèlerinage
Le P est un corps qui souhaite faire peau neuve
Mais son esprit s’est emparé de lui, dure épreuve!
Comme un coup de poignard, cri perçant la poitrine
Pour lui point de trépas, mais une vie qui trépigne
Le P se rêve drap, une douce enveloppe
Se sentant poursuivi, il trébuche, il achoppe
Sur son propre son, le drap se fait drapeau
Lourd de sens, sans nuances, le P y laisse sa peau
Le P extirpe au paysage sa sagesse
Le transforme en pays, lui ôte sa souplesse
Par dépit, il punit, piège le paysan
Qu’il fait ployer, perfide! En fait un partisan
S’il ne peut être paume, le P est donc un poing
Patrie, padre padrone, à qui tout appartient
Il prend les pleins pouvoirs, est capable du pire
Épèle puis dépèce jusqu’au dernier soupir
Le P s’emporte encore, paroxysme, perdition!
Oppresse et opprime les peuples qu’il oppose sans raison
Les couleurs de nos êtres, sans scrupule, il supprime
Plus de pluralité, il police le passé et aplatit les rimes.
Si seulement une âme pouvait s’en approcher
Et entendre la pavane de ce P éploré
Un P qui s’est perdu au milieu de la nuit
Et n’a pas su en apprivoiser les esprits
Le P pourrait être une plaie que l’on panse
Peut-être même un pont reliant nos existences
Une plante qui pousse, un pain que l’on pétrit
Un paradoxe, une aporie, partie prenante de la vie
Le P pourrait être une prière, un présage
Un repos, un répit, paradis! Une plage
Le P serait paresse, un présent qui se prélasse
Le temps n’existe déjà plus car le tempo a pris sa place
Il suffirait d’une âme qui veuille bien comprendre
La complainte de ce P et vers lui sa main tendre
Car comme bien souvent le pire cache le meilleur
Un peu de compassion peut nous faire voir son cœur
Le P est alors plume, de l’aile de Pégase
Du sang de Méduse, il est né, on dit qu’il apporte l’orage
Il est pluie, il est source, il donne l’inspiration
Les poètes en lui puisent leur plus belles expressions
Le P est un topaze, comme une aube qui pointe
Vers le Mont Parnasse, il s’envole, vers l’Olympe
Il est un papillon, une prairie, un parfum, un prélude
Il plane sur le monde, donne de l’amplitude
Le P est le pollen, porte postérité
Poussière, parole, poème, promesse d’éternité
Il est flûte de Pan et lyre d’Apollon
Il est l’eau du Léthé, le plus doux des poisons
Le P est une perle, il est tous les possibles
Il est paix, plénitude, puissances invincibles
Une portée de notes, une poignée de porte,
Qu’on ouvre: un printemps, un espoir qui galope.